
Communiqué officiel
20/02/2025Témoignage N°07 – Marcelle & Nicole
Le projet "Cœur de Socios" vise à recueillir et partager les témoignages émouvants des supporters du FCSM, avec l'objectif de publier un recueil de 100 portraits pour célébrer les 100 ans du club en 2028.

Un ancrage et des sensations fortes
Bienvenue chez elles
Par un après-midi d’automne baigné d’un soleil doré, nous sommes en Haute-Saône, dans le séjour d’une coquette maison de famille qui doit avoir à peu près l’âge du FCSM. Les deux socios que nous allons vous présenter ne vivent ni l’une ni l’autre dans la région et elles attendaient d’avoir défini la date de leur prochain séjour au pays pour nous donner rendez-vous. Or, dans quelques heures Sochaux reçoit Concarneau, leader du championnat. N’y voyez aucune coïncidence : lorsqu’elles planifient une venue, elles veillent à tomber sur une semaine de match à domicile, histoire de parfaire leur séjour par une sortie à Bonal.
Nicole a 59 ans et vit au centre géographique de l’Allemagne, dans le Nord du land de la Hesse. Sa mère Marcelle, qui soufflera sa 90ème bougie dans quelques mois, habite près de Montpellier. Son frère Philippe est venu de Bordeaux avec son épouse. Il est socio lui aussi, pas tant par passion du ballon rond que par solidarité. La Franche-Comté est restée un lieu central pour les retrouvailles, en plus d’être le berceau historique de la famille.
Jusqu’à ce qu’elle parte en 1989 profiter d’une retraite au soleil dans le Sud de la France, Marcelle a toujours vécu en Haute-Saône. Avec son mari Bernard, ils s’y sont rencontrés, y ont été instituteurs, directeurs d’école, et y ont fondé leur famille. “J’adore ma région. Quand j’y reviens, je suis heureuse. Et tout de suite, mon désir, c’est d’aller au stade Bonal.” Nicole a déménagé, elle, en 1987. Au départ, son séjour devait être temporaire dans le cadre de ses études d’allemand, avant de se muer en installation définitive. “J’ai vécu une part plus importante de ma vie en Allemagne qu’ici. Mais toujours avec mon écharpe, avec mon cœur jaune et bleu.”
Le transistor et le manteau râpé
Pour l’une comme pour l’autre, la passion semble prendre racine au début des années 1980, à en croire les noms des premiers joueurs qui les ont marquées, Albert Rust ou Yannick Stopyra. Une photo dédicacée et un article de journal posés sur la table témoignent d’un intérêt plus prononcé pour ce dernier chez Nicole, mais pas seulement. Sur un Sochaux Sprint de l’époque, elle est en photo au côté de sa mère. Avoir votre visage entouré dans un numéro du magazine était alors synonyme d’invitations pour le match suivant. Or, c’est sur un détail capillaire de cette image qu’elle s’arrête un instant : “peu de temps avant, j’étais allée chez le coiffeur. Quand il m’a demandé quelle coupe je souhaitais, je lui ai tendu une photo de Stopyra ! Ressemblant, non ?”
C'est lors de cette adolescence, à 15 ou 16 ans, qu'elle attrape le virus. Elle n’a pas de souvenir précis de ses premiers matchs. Ce qui est clair en revanche, c’est que l’amour des couleurs jaune et bleu lui vient de son père. “Quand nous partions en vacances, il avait son petit transistor et il écoutait les matchs à la radio. Les soirs de match, il n’était pas question de programmer un restaurant par exemple !” Sur la table, à côté des photos, il y a d’ailleurs l’une des pages de notes que Bernard consignait patiemment, ici les résultats de la saison 87-88. “Il a commencé par m’emmener au stade, puis j’ai fini par prendre le relais : c'est moi qui emmenais mes parents.”
Sochaux et Bonal, c’est bien sûr une collection de souvenirs, parfois d’images. Nicole illustre : “il y avait un vieux monsieur en tribune Pesages avec un manteau tout râpé, mais qui ne loupait pas un match. Nous avons longtemps parlé de lui.” C’est aussi une proximité : “nous n’étions pas dans une logique de paparazzi à traquer les joueurs à leur hôtel, mais c’était comme de la famille.” Et puis, c’est un défilé de noms et de moments : l’époque Sauzée, le penalty manqué de Mickaël Madar en finale de Coupe de France 1988 par exemple.
Frissons radiophoniques
Mais le plus marquant, c’est un autre type de lien. “Patrick Revelli, à genoux puis en peignoir dans la neige (contre l’Eintracht Francfort en 1981), symbolisait pour moi notre région, une fierté, un terroir.” Cet ancrage, c’est ce qui fait que “le petit Mathieu de Luxeuil” leur est resté en mémoire. Marcelle s’est aussi aperçue, du temps où il était joueur, que la tante de Jean-Luc Ruty travaillait dans son école. Sa fille complète : “Sochaux, c’est une lumière. Pour moi qui suis loin, c’est un cordon ombilical qui me relie à la région.”
Un lien fort, donc, mais aussi un moyen d’identification. En février dernier, Nicole doit subir une opération près de son domicile. Quand le personnel se rend compte qu’elle est française, on lui demande d’où elle vient : de Paris ? “Non, répond-elle, d’à côté de Sochaux. Vous connaissez peut-être, c’est l’équipe qui a battu Dortmund !” D’ailleurs, parmi d’autres déplacements, elle avait assisté en 2004 au nul arraché 2-2 sur le terrain du Borussia, avant le légendaire 4-0 du match retour. Elle y avait emmenée une amie qui était apeurée à l’idée de brandir les couleurs sochaliennes à l’extérieur. Ce que Nicole avait fait, bien entendu, dans l’euphorie de l’après-match. Pour s’assurer de vivre le match à fond, elle avait réussi à obtenir des places dans le parcage sochalien, par M. Bonnet, l’ancien président du Supporter Club.
“Le FCSM est capable de me donner des frissons, au sens propre. Une fois, la télévision allemande retransmettait un match de l’équipe de France. Le commentateur s’est mis à évoquer le parcours de Marcus Thuram, qui était sur la pelouse. Quand j’ai entendu mentionner qu’il avait été formé à Sochaux, ça m’a fait comme une décharge.” Marcelle offre un résumé presque polysémique : le FCSM est un club de cœur. Elle aussi décrit la puissance de ce moteur d’émotions. “Les soirs de défaite, je suis malheureuse, peut-être plus que les joueurs. J’en ai les larmes aux yeux. Peuvent-ils se douter que quelque part, une vieille dame en tremble d’écouter le match ?”
Le rituel est le même chaque soir de football : dans l’Hérault et dans la Hesse, deux radios se branchent sur Ici Belfort-Montbéliard et attendent qu’Hervé Blanchard prenne l’antenne. Parfois, l’ordinateur de Marcelle fait des siennes. Anxieuse, elle appelle alors l’un de ses enfants, jusqu’à ce qu’elle parvienne à se connecter. Ce doit être ça, être mordue, suppose-t-elle dans un sourire. Nicole remarque aussi une certaine incrédulité chez ceux à qui elle explique qu’en 2024, elle va passer sa soirée à écouter un match de troisième division, à la radio. Après la rencontre, les deux auditrices commentent et débriefent la prestation de leur équipe. Lorsqu’elles se rendent à Bonal, elles s’accompagnent de deux accessoires indispensables : une corne, ainsi que Petit Lion, une peluche-mascotte qui passe le match à l’abri dans l’anorak de Marcelle. “Et le reste du temps, il écoute aussi Hervé Blanchard !”
Catastrophe pour un élan
Assez rapidement dans la conversation, Nicole est venue à l’été 2023 et à l’incroyable tourbillon d’émotions qui l’a animée. Elle décrit des temps interminables à faire des allers-retours sur le balcon pour capter le réseau wifi, ou à lire le journal, dans une quête frénétique des dernières nouvelles. Elle se souvient de la série de premières pages de l’Est Républicain consacrées au FCSM, notamment le numéro du 2 août, juste après le rejet du projet de Romain Peugeot : le journal titrait “Catastrophe !” avec la photo d’un supporter les mains sur la tête. Glaçant.
“Le soir du 14 juillet, j’étais ici, et je pleurais. J’étais triste, mais aussi touchée de voir que tant de personnes se soient rassemblées pour un club de foot, c’était fou. Un jour férié, d’ordinaire, on se promène, on voit sa famille…” La colère est froide contre les propriétaires précédents, coupables de leur manque de connaissance du football, tout comme contre la marque Peugeot qui s’était séparée du FCSM précédemment, puis avait aggravé son cas avec les propos trop bien connus d’une dirigeante de la firme en 2019 qui dénigraient les valeurs “trop populaires” du ballon rond. Une insulte, un piétinement.
“Me parler d’une disparition du FC Sochaux, c’était comme me dire qu’on allait me couper une jambe.” Au-delà de 15 ou 20 joueurs, c’était toute une région déjà en difficulté qu’on mettait un peu plus en péril : des emplois au club, une économie autour… “Et puis revient l’espoir, par un vieux monsieur. Jean-Claude Plessis, qui à 80 ans, revient de sa Bretagne pour s’engager, c’est une histoire incroyable. C’est le sauveur.” Elle loue le projet porté avec Pierre Wantiez, ainsi que la mobilisation autour de la levée de fonds des Sociochaux. Le plus touchant à ses yeux, c’est qu’au vu de la moyenne des dons, il est permis de supposer que beaucoup de participants étaient des personnes modestes.
Marcelle manifeste à nouveau son art du résumé : toutes ces composantes forment, au final, une grande histoire de solidarité. Apprenant pendant cette tourmente l’existence des Sociochaux, sa fille, son fils et elle-même adhèrent assez vite. Sans certitude, mais avec une conviction : il faut essayer. “Une seule chose est certaine, reprend Nicole, c’est que nous ne nous attendions pas à être 11 000. Surtout dans une région peu dense, peu riche, ouvrière.” Sans doute ce modèle n’est-il pas applicable partout, qu’il n’empêchera pas la marche vers un football à deux vitesses. Et il peut sembler idéaliste. Mais il a généré un élan positif, il a montré une voie possible.
Les changements dans l’organigramme intervenus à l’intersaison 2024, tout comme le retour des sifflets face aux résultats mitigés de ce début de saison, placent Nicole dans l’expectative. Laissons la conclusion à Marcelle sur le sujet de l’amour du maillot, qui n’a jamais fléchi. Depuis un an au contraire, il n’a fait que se renforcer. Quant aux dix dernières années, il fallait soutenir l’équipe sur le terrain, en espérant que les actionnaires changent.
Un brouillard épais et bas est tombé sur Montbéliard avec la nuit. Dans un Bonal bouillant, les Jaune et Bleu viennent de battre Concarneau sur le plus petit des scores, avec pugnacité et solidarité. Nul doute que quelque part dans les tribunes, deux Haut-Saônoises de cœur et leur mascotte en peluche auront apprécié le moment fort de leur séjour au pays.