Sociochaux au marché de Noël
14/12/2024Témoignage N°05 – Laurent & Paul
Le projet "Cœur de Socios" vise à recueillir et partager les témoignages émouvants des supporters du FCSM, avec l'objectif de publier un recueil de 100 portraits pour célébrer les 100 ans du club en 2028.
Il y a d'abord Laurent. Né en 1967 dans l'Allier d'une mère franc-comtoise et d'un père originaire de Tunisie, il a 3 ans quand ce dernier est muté dans le pays de Montbéliard et y fait déménager la famille. "Mon pays, c'est la Franche-Comté", clarifie-t-il d'emblée.
Son père aime le football, mais supporte plutôt Nîmes. C'est à l'occasion des festivités organisées pour les 50 ans du FCSM, en 1978, que le jeune garçon connaît son baptême au stade Bonal. Toutes les sections du club, parmi lesquelles la natation dont il est licencié, sont invitées pour un match de gala contre l'équipe nationale de Hongrie. Cela représente une petite foule, qui garnit le pourtour des barrières de l'ancien stade.
A l'époque, il est pris dans la folie Saint-Étienne et son idole s'appelle Dominique Bathenay. Mais les sensations du stade vont vite le faire changer de cap. La "bascule" intervient en 1980, lorsque son grand frère Xavier l'emmène à Bonal où Sochaux reçoit justement les Verts. Imitant bon nombre d'enfants, il grimpe dans les sapins situés devant le bungalow pour voir le match. A chaque but jaune et bleu, les malheureux arbres étaient secoués sans ménagement par leurs occupants ! Et pour ce qui est de buts ce soir-là, il sera servi : Genghini, Parizon, doublé de Stopyra, les Lionceaux battent le grand Sainté de Michel Platini par 4-1. Il ne lâchera plus cette équipe sochalienne alors en plein essor, qui terminera 2e de Division 1 et réalisera l'année suivante son légendaire parcours en Coupe UEFA.
Il a alors 13 ans, "l'âge où l'on commence à se forger une identité". Et, on l'a dit, il est attaché à sa région. Issu d'une famille modeste qui vit sur un seul salaire, il rejoint Bonal en vélo depuis Seloncourt et doit se débrouiller pour voir les matchs gratuitement. Plusieurs solutions existent alors, qu'il exploite tour à tour : soit il attend la mi-temps, moment où l'entrée cesse d'être payante, soit il va mériter le précieux sésame en vendant une pile du magazine Sochaux Sprint, soit... il fait tout bonnement le mur. Comme il y a prescription, il développe : un jour, passant par la voie ferrée qui contourne le stade, il escalade un pylône électrique, saute par dessus le grillage, et se retrouve dans les bras d'un CRS ! Pris sur le fait, tétanisé l'espace d'une seconde, il est tout aussi surpris quand l'agent lui dit : "Allez, vas-y gamin." Il décrit d'ailleurs une tendance largement répandue des stadiers à se montrer complices vis-à-vis des jeunes, pourvu que leurs supérieurs ne remarquent rien.
Il est abonné depuis les années 1990. Pour parler de la suite, il faut présenter Paul, le fils. Âgé de 20 ans, il est étudiant à Besançon. Contrairement à sa mère et à sa sœur qui ont tenu à distance toutes les stratégies paternelles pour gagner l'ensemble de la famille à la cause jaune et bleu, le moins qu'on puisse dire est qu'avec lui, la greffe a pris. Il a commencé à aller au stade Bonal si jeune qu'il lui est bien difficile de retrouver des souvenirs précis de son premier match, face à Nice. Mais sa mémoire est pleine d'un ensemble de moments qui ont balisé son enfance : les soirées en tribune partagées à 4, avec un ami de Laurent et son fils ; des rencontres avec les joueurs organisées dans le cadre du travail de son père...
Son premier épisode marquant est la défaite contre Évian, en 2014, qui acte la relégation du club en Ligue 2. Ce soir-là, il se surprend à pleurer au retour du match et comprend qu'il est, lui aussi, très attaché au club. Même avec un vécu plus important, son père classe aussi cette soirée dans ses plus grandes frustrations : "tout le monde y croyait"... En plus, la soirée avait commencé par de chaleureux échanges avec les supporters haut-savoyards : poignées de mains, écharpes et même jambons de pays. Laurent rebondit en évoquant son "premier chagrin" à lui, la défaite en demi-finale de Coupe UEFA 1981 face à l'AZ 67, douchant un espoir et une euphorie symbolisés par les images mémorables des Lionceaux deux tours auparavant, épuisés dans la neige pour arracher la qualification à l'Eintracht Francfort... Paul tempère le drame de son père d'une moue aussi goguenarde que complice : lui n'a quasiment connu que la Ligue 2 !
Pour les rassembler, rien de tel que leur demander de citer un joueur fétiche : Santos ! Même si la véritable idole de l'ex-petit Paul porte un autre nom. Au tour de Laurent de mettre son fils en boîte : "Quand il avait du mal à avancer lors d'une randonnée, il suffisait de lui dire que Mevlut Erding était en haut de la côte ! L'astuce marchait aussi à table, on a prêté plusieurs plats préférés à ce pauvre Mevlut..." Pas borné pour autant, Paul a su élargir sa liste de joueurs préférés : Marvin Martin, Ryad Boudebouz, Sébastien Roudet, et bien sûr Teddy Richert.
Pour Laurent, le FCSM représente "une partie de la famille". Il le répète deux fois avant de développer sur l'importance énorme du club dans la région, même pour les gens qui ne viennent pas au stade. Paul parle d'une part de son identité. Il a déjà pu remarquer que la notoriété de l'équipe de foot dépassait celle de la région elle-même. Il y a quelque temps, il part quelques jours en Allemagne avec des amis pour une tournée des stades. Le dernier match du périple se tient à Dortmund, dans une ambiance folle. Or, en arrivant au Signal Iduna Park, au milieu d'une marée de supporters, son œil est attiré par un logo Peugeot : c'est une supportrice qui porte l'écharpe de Sochaux – Borussia Dortmund 2004 !
Quand on aborde l'histoire récente, le ton se fait plus grave chez Laurent pour qui, soucieux d'inscrire les choses dans leur contexte, les mauvais jours commencent au moment de la vente du club par Peugeot en 2015. "La première grosse trahison, un véritable infanticide. Je l'ai encore en travers de la gorge. C'était abandonner notre identité, nos valeurs, notre taille humaine... tout ce qui fait qu'on aime ce club ! J'étais tellement dégoûté que peu après, alors que nous devions changer de voiture, j'ai fait le forcing pour acheter une Renault." Il confie que, saisi de remords par la suite en pensant aux ouvriers, il est redevenu client de la marque au lion.
Mais le tableau est campé pour évoquer 2023. Laurent encore : "Nous sommes allés au rassemblement du 14 juillet, c’était une évidence pour Paul comme pour moi. Juste après, nous sommes partis en Corse. Cela m'a pourri mes vacances, ma femme m'a avoué qu'elle ne comprenait pas ça. Plusieurs fois, je me suis éclipsé pour pleurer." Sa gorge se noue d'en parler, toujours aujourd'hui. Même Paul semble surpris. Lui a porté son maillot presque tous les jours du voyage.
Laurent croit tout de suite en l'initiative Sociochaux. Il adhère illico et mène un véritable "rabattage" auprès de ses proches. Paul, plus sceptique au début sur les chances de succès de l'association, finit par la rejoindre et par s'y investir : il fait partie de l'équipe de projet qui s'est donné pour mission de rééditer le magazine Allez Sochaux les jours de match. "D'abord, ça me rappelle des souvenirs et on en a une belle collection à la maison. Ensuite, je ressentais une envie d'agir. Et enfin, mon projet professionnel étant de devenir journaliste sportif, c'est un beau moyen de me forger une expérience !"
L'envie d'agir dont parle Paul est en fait plus ancienne. Sochaux, c'est son seul lien avec le foot. A part l'équipe de France, il ne regarde pas d'autres matchs. Par bouche-à-oreille, il entend parler d'une recherche d'arbitres au sein du club. Il postule spontanément et le voici au sifflet depuis quelques années. Il officie dans les rencontres de jeunes. Du moins, en temps normal. Un dimanche après-midi de l'été 2022, il va comme souvent voir jouer la réserve en National 3. Les jeunes Lionceaux reçoivent Mâcon sur la pelouse de Bonal. Soudainement, un responsable demande s'il y a un arbitre dans le public : l'un des hommes en noir vient de se blesser. Et après avoir demandé en urgence à son père de lui envoyer une photo de sa licence, voilà Paul qui se retrouve juge de touche pour la deuxième mi-temps. Un souvenir mémorable pour deux raisons. La première, c'est qu'il y avait alors du beau monde sur le terrain : Malcolm Viltard, Nolan Galves ou Bassirou N'Diaye, pour ne citer qu'eux. La seconde, c'est qu'il a passé ces 45 minutes sous le feu des projecteurs avec son bas de pyjama sous son short... Au départ, il venait en touriste, se défend-il. Discret mais insolite.
A l'heure de revenir à la saison 2023-24 et d'en faire le bilan, c'est Paul qui se montre le plus laudatif : pour une équipe montée en une semaine, le classement à la 8e place de National comme le parcours en Coupe de France sont miraculeux. Le 1/16e de finale contre Reims est probablement son meilleur souvenir, détrônant pourtant des rencontres qui l'ont marqué au fer rouge : le frisson d'un 3-2 contre Caen début 2022 arraché à la dernière seconde dans un hiver glacial sur un but de Maxime Do Couto, ou la victoire tout aussi inespérée en play-offs quelques mois plus tard sur la pelouse du Paris FC... Pour sa part, Laurent s'est vu évoluer dans son état d'esprit, en devenant plus indulgent vis-à-vis des joueurs que par le passé. Il s'empresse toutefois de préciser : exception faite pour ceux qui s'aviseraient de ne pas mouiller le maillot.
Pour l'avenir, père et fils sont plutôt confiants, notamment grâce à la présence de Julien Cordonnier et à l'espoir suscité par le nouvel entraîneur, Karim Mokeddem. Ils s'accordent sur l'idée que l'ambiance de Bonal a réactivé leur amour du foot, qui aurait sinon tendance à se ternir sous les feux du foot-business. La conclusion est elle aussi concertée : pour Sochaux qui a toujours été précurseur, ce serait continuer la belle histoire et revenir aux sources que d'être un fer de lance pour l'idée de football populaire.